Le 11 décembre 2019 à Colmar, le collectif Or du Commun a accueilli la 19ème « Rencontre des acteurs du développement économique ».
Organisées par l’ADIRA, ces rencontres permettent des échanges d’expériences entre les différents acteurs locaux du développement économique des territoires alsaciens. Le thème était lié à la question des tiers-lieux, fablabs et autres espaces collaboratifs. En effet, de nombreux projets ou questionnements sur l’opportunité de créer de tels lieux existent aujourd’hui sur les territoires.

Plusieurs intervenants, Dominique VALENTIN de Relais Entreprise, Stève DUCHENE d’Alsace Active ainsi que Barbora REZKOVA et Marina PATROUCHEVA du collectif Or du Commun, ont pu présenter leur vision et expériences dans la création et animation de ce type de lieux. Nous les remercions pour leurs interventions appréciées par l’ensemble des participants.

Présentation et définition des tiers-lieux, fablabs, espaces de coworking

Le tiers-lieu, traduit de l’anglais The Third Place comme « troisième lieu » fait référence aux environnements sociaux qui viennent après la maison et le travail, premier et deuxième lieux.

Avant l’avènement de la voiture, il y avait des espaces de rencontre, d’attente.
Son développement et donc celui de la mobilité individuelle a affaibli, voire fait disparaître ces espaces. La voiture a décorrélé la proximité spatiale et le construit social. Ce qui se jouait dans ces espaces qui disparaissaient, c’était la construction des relations sociales et la diversité de celles-ci. La voiture permet de choisir ses espaces sociaux – lieux intermédiaires d’échanges et de communautés – a donc tendance à réduire la diversité des relations par une segmentation choisie.

La notion de tiers lieux revient aujourd’hui avec le développement de l’économie créative : est-ce que les relations un peu hasardeuses dans les tiers-lieux ne font pas créativité ?
Autre élément, l’avènement du numérique qui permet de se couper encore plus de son environnement immédiat. Le tiers-lieu devient une bannière derrière laquelle on met beaucoup de choses : refaire de la sociabilisation, télétravail, enjeux climatiques, etc.

De nombreuses études commencent à voir le jour sur le phénomène des tiers-lieux et espaces de collaborations. Dans le rapport très complet de « Mission coworking » réalisé par la fondation « Travailler Autrement », on trouve des définitions qui nous permettent de mieux comprendre les fonctions de ces espaces.

Ainsi, les tiers-lieux « sont destinés à être des espaces physiques ou virtuels de rencontres entre personnes et compétences variées qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. (…) Le tiers-lieu est polymorphe car il peut prendre des formes variées en fonction des besoins d’un territoire et des communautés d’usagers. En ce sens, il n’existe donc pas de tiers-lieu type. Ils composent une solution hybride entre espace personnel et espace ouvert, domicile et travail, convivialité et concentration. Les tiers-lieux réunissent un certain nombre de conditions permettant les rencontres informelles et favorisant la créativité issue des interactions sociales, notamment à travers l’ouverture, la flexibilité, la viabilité, la convivialité et l’accessibilité. Chaque « tiers-lieu » a sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, mais tous favorisent la créativité, l’initiative et le partage ».

C’est dans cet esprit qu’est né fin 2017, à Colmar, le Collectif ‘Or du commun’ dirigé par Barbora Rezkova et Marina Patrouchéva. Fondée par des entrepreneures, mamans pour beaucoup, l’association réunit aujourd’hui plus de 50 adhérents, femmes et hommes. Développer un véritable laboratoire du vivre-ensemble au travail, rompre l’isolement des travailleurs solos établis en Centre-Alsace, faire d’un espace de travail collaboratif un lieu de co-construction et de formation, tels étaient les objectifs du Collectif.

A l’étroit dans son coworking établi à Colmar, l’association développe un partenariat avec la commune d’Andolsheim. Ce village de 2 200 habitants dans le Haut-Rhin est situé sur un axe transfrontalier très fréquenté. Engagés ensemble, les partenaires se donnent pour mission d’installer dans les locaux au cœur du village donnant sur une cour verdoyante, une communauté de travailleurs indépendants, de créateurs d’entreprises et de télésalariés fédérée par le Collectif, pour y intégrer des personnes en transition professionnelle. L’objectif est de répondre à leur besoin de retrouver une dynamique collective et de bénéficier du contexte d’émulation créative et solidaire. Or du commun illustre ainsi la dimension sociétale que peut revêtir un tiers-lieu.

En plus des locaux à Colmar, cet espace sera également destiné aux équipes professionnelles en résidence. Externaliser une formation, un séminaire de cohésion d’équipe, faire expérimenter aux collaborateurs de nouveaux lieux et de nouveaux cadres de travail qui stimulent la créativité tout en bénéficiant d’une séance de bien-être, entamer une réflexion sur le télétravail, tout cela sera possible dans le nouvel espace. Les entreprises de la région y trouveront également une solution ergonomique pour leurs collaborateurs itinérants à la recherche d’un bureau occasionnel ou permanent.

Le fablab (abréviation de Fabrication Laboratory), c’est « une plateforme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques, « intelligents ou non ». Il s’adresse aux entrepreneurs qui veulent passer plus vite du concept au prototype ; aux designers et aux artistes ; aux étudiants désireux d’expérimenter et d’enrichir leurs connaissances pratiques en électronique, en CFAO, en design ; aux bricoleurs du XXIe siècle…Les différents fablabs dans le monde combinent tous, de manières différentes, cinq fonctions correspondant à cinq publics : la simple découverte du pouvoir de faire, de fabriquer, qui s’adresse aux enfants ou aux bricoleurs ; l’éducation par l’action, qui s’adresse aux écoles et
universités ; le prototypage rapide, qui s’adresse aux entrepreneurs et créateurs ; la production locale, qui répond notamment aux besoins de pays en développement, mais aussi à ceux d’artistes, designers ou bricoleurs qui ne cherchent pas la grande série ; et l’innovation, l’invention des objets, des espaces, des formes de demain ».

Quant au coworking, mot anglais difficilement traduisible en « cotravail », est un mode de travail qui englobe à la fois un espace de travail partagé, mais aussi des notions d’échanges et d’ouverture voire de collaboratif.

Les espaces de coworking se multiplient dans le monde. Le coworking s’adapte particulièrement aux travailleurs indépendants (freelance), aux personnes fonctionnant en télétravail, ou aux auto-entrepreneurs. Il s’agit le plus souvent de professionnels issus du numérique, de la communication, de l’architecture, du marketing, du commerce, etc.
Les petites entreprises peuvent également faire appel aux espaces de coworking pour des raisons économiques ou de localisation géographique de certains collaborateurs qui ne souhaitent pas ou n’ont pas la possibilité de faire du télétravail mais aspirent à bénéficier d’un espace de travail agréable et plus proche de leur domicile que les bureaux « officiels » de leur entreprise.

Globalement, on peut aussi regrouper sous la même dénomination « tiers-lieux », des tiers-lieux d’activités (coworking), d’innovation (fablabs), sociaux (repaires, cafés, etc.).

 

Des tiers-lieux sur les territoires ?

L’enjeu pour les collectivités est de pouvoir se poser les bonnes questions dans la réflexion préalable à la réalisation d’un tiers-lieu ?

Comme indiqué précédemment, on cherche souvent à y raccrocher énormément d’enjeux. Il est nécessaire de bien les cerner et les dissocier, s’agit-il de mobilité pendulaire, de revitalisation, d’attractivité, de rééquilibrage des territoires, de création de liens, de créations innovantes, etc. ?

Cette réflexion est nécessaire pour ne pas proposer une approche globale en partant d’un lieu disponible, mais apporter des réponses spécifiques à ceux que l’on souhaite cibler : entrepreneurs, télétravailleurs, porteurs de projets, demandeurs d’emplois, citoyens, etc.

L’espace est ainsi à adapter à chaque territoire en ne se focalisant pas sur le lieu, mais bien sur la problématique à résoudre.

L’expérience acquise par de nombreux projets déjà réalisés a permis de recenser plusieurs écueils :

  • des espaces dont le positionnement et le dimensionnement n’ont pas été réfléchis,
  • une visibilité et lisibilité de l’offre trop confuse et surtout pas suffisamment ciblée (la mode des noms décalés est un exemple frappant, La Plage, Le Poulailler, La Cellule…sympathiques mais inadéquat pour attirer des salariés d’entreprises censés y travailler)
  • un seuil de rentabilité (coût de l’immobilier/coût de l’animation du lieu) trop élevé au regard des recettes et des charges,
  • une survalorisation des externalités positives pour justifier le déficit d’un projet (lorsqu’il est porté par la collectivité locale),
  • une communauté d’utilisateurs non identifiée ou pas suffisamment dynamisée (et pas forcément animée).

Lorsque l’on s’interroge sur le modèle économique, force est de constater qu’il n’y a pas de solutions clés en main et que chaque territoire a ses spécificités.

Les paramètres sont multiples et varient selon la distance par rapport à une métropole et la dynamique de territoire : présence de communautés organisées (club d’entreprises, actions de promotion du territoire etc.).

De même, la zone d’influence n’est pas la même en fonction de la typologie des occupants potentiels. Un salarié n’utilisera pas le lieu s’il est à plus de 10 minutes de son domicile, un entrepreneur fera lui plus de kilomètres, si l’espace est configuré comme un lieu d’échanges avec des ateliers par exemple.

Le tiers-lieu doit ainsi être la résultante d’une véritable stratégie. Ainsi, il peut être un lieu structurant pour le territoire avec de l’animation voire avec la présence d’organismes comme les CMA/CCI, agences de développement ou se matérialiser par de « simples » bureaux de proximité.

L’engagement des collectivités est également variable, certaines assurent totalement le portage du lieu, d’autres prennent un rôle de facilitateur.

Certains principes ressortent des expériences, si l’aménagement du lieu a été conçu pour mettre en place les échanges, il y aura moins besoin d’animation pour impulser la convivialité, car la question du financement se posera inexorablement. En outre, à moins de 1 500 m² de surface, il n’est pas possible, sans subvention, d’avoir la présence d’un équivalent temps plein pour organiser et animer le lieu. L’équilibre financier semble toujours délicat lorsque l’exploitant n’est pas le propriétaire des lieux.

L’expérience et le savoir-faire provenant de la mise en œuvre des projets de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) peut être un atout dans la construction de tiers-lieux.

En effet, l’ESS a l’habitude d’aller là où c’est compliqué, là où la réponse marchande classique n’existe pas. L’ESS met parfois en commun plusieurs problèmes de différents acteurs pour arriver à les résoudre : c’est l’hybridation.

Cela repose ainsi la question du tiers-lieu, dont l’enjeu est de faire la communauté avant de faire le lieu.

 

Ainsi, le schéma gagnant passe probablement par la présence ou le développement d’un collectif qui émerge du territoire et une rencontre avec une collectivité ouverte qui veut tester ces nouveaux modes d’activités.

Tiers-lieux, fablabs, coworking, opportunité pour les territoires ?

Sébastien Leduc

Directeur Pôle Développement des Territoires

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