Un dirigeant définit son propre parcours, surtout dans les TPE / PME : les prises de décision et de responsabilité sont parfois sources de solitude. Les cessions et reprises d'entreprises sont l'un de ces moments où il ne faut pas rester seul : se faire accompagner est essentiel pour identifier la meilleure marche à suivre.

« Il y a environ 60 000 cessions ou transmissions d'entreprises par an en France aujourd'hui. On trouve un nombre à peu près équivalent de candidats à la reprise. Le problème, c'est qu'ils n'arrivent pas toujours à se trouver. » C'est le constat de Pascal Gaden, responsable de la mission mutations économiques/restructuration à l'ADIRA. C'est ainsi qu'il explique les fondements de son métier : créer du lien, anticiper les difficultés des entreprises, chercher des solutions concrètes, avec les chefs d'entreprises mais aussi avec les élus des collectivités du territoire alsacien et de l'État.

La question des emplois – et de leur préservation –, est au coeur de du processus des cessions d'entreprises. Par ailleurs, Pascal Gaden rappelle le vieil adage du monde économique : « Il est plus facile de garder un client que d'en trouver des nouveaux. » Il peut être plus sécurisant, pour les repreneurs comme pour les salariés, de miser sur une entreprise qui fonctionne déjà.

Enfin, la clé est dans l'individu : une entreprise, c'est aussi sa gouvernance par une personne physique. Selon Pascal Gaden, « un entrepreneur définit son projet professionnel au regard de son projet personnel ». Lors d'une cession ou d'une reprise, il a donc besoin d'être accompagné, à tous les niveaux, pour réussir cette transition et en faire un succès.

Trois exemples de reprises

De Stracel à Blue Paper – François BRU, directeur général

L'histoire de Blue Paper est celle d'une reconversion réussie, dans un moment historique où tout semblait annoncer le contraire. François Bru, déjà directeur du site de l'usine Stracel, était bien conscient des difficultés. « Le groupe UPM, spécialisé dans les domaines du papier graphique et journal, s'est retrouvé en surcapacité endémique du fait de la décroissance de ces marchés. Depuis une bonne quinzaine d'années des unités ferment en Amérique du Nord et en Europe, régulièrement, et c'est en 2011 que le groupe a décidé de mettre en vente l'usine Stracel. » Il s'agissait donc de trouver une solution rapide pour garantir l'avenir de l'usine et des emplois, sur le long terme, dans un marché en déclin.

Grâce, entre autres, à l'accompagnement des élus du territoire et de l'ADIRA, les groupes allemands Klingele Papierwerke et belges VPK Packaging se sont associés dans la joint-venture Blue Paper pour racheter les actifs industriels après la fermeture de l'usine et le licenciement de tous les salariés fin 2012. « Non seulement le site a trouvé preneur, ce qui dans le climat actuel et pour un site de cette taille n'était pas facile, mais en plus les acquéreurs sont des industriels européens – pas des fonds de pension ou financiers. On a affaire à des gens qui sont là pour longtemps, qui ont une stratégie industrielle. » Après 100 millions d'euros d'investissement, un chantier de modification colossal et l'embauche de 150 salariés – pour la plupart issus de l'ex-Stracel – Blue Paper a recommencé à produire au bout de 8 mois seulement. « Nous sommes aujourd'hui encore dans la courbe de progression. La liste des tâches à accomplir est considérable mais on s'y attèle avec confiance. C'est le maître-mot aujourd'hui : la confiance. »

— Blue Paper 4, rue Charles Friedel Strasbourg www.bluepaper.eu

 LSDH : « Créer une fédération de PME » – Emmanuel Vasseneix, président directeur général

L'histoire d'Emmanuel Vasseneix est avant tout familiale et humaine. Il rachète d'abord la totalité de la Laiterie Saint-Denis-de-L'Hôtel (LSDH) avec son père, son frère et sa soeur. « À partir de ce moment-là nous avons rencontré des gens, dont les futurs Jus de Fruits d'Alsace (JFA), L'Abeille de Cholet, et d'autres, qui faisaient sens dans notre stratégie globale. Nous ne créons pas un groupe : nous trouvons des synergies. Notre vision n'est pas faite d'objectifs de chiffre d'affaires à 5 ans, elle se situe dans la façon d'asseoir et de développer ce que nous aimons faire : créer de la diversification dans les produits, dans la façon de faire, pour épanouir les hommes dans l'entreprise et assurer de la pérennité. Nous créons une fédération de PME. La reprise d'une entreprise est un travail de partenariat. Mon père disait : “Le capital n'est important que quand on vend et quand on achète, ce qui compte vraiment dans une entreprise c'est la volonté des hommes à faire avancer les projets.” »

Accompagnée dans ce processus par des conseillers qui suivent le groupe familial depuis longtemps, la transformation des Vergers d'Alsace en JFA s'est faite en douceur, même si JFA a été créé de toutes pièces. « Vergers d'Alsace était voué à être vendu ou à disparaître dans le cadre d'une restructuration avec un groupe allemand. Quatre cadres sont venus nous voir en disant : “Nous avons vu ce que vous faites et la manière dont vous le faites, et ça nous dirait bien de faire un bout de chemin avec vous.” » La reprise a contribué à sauver des emplois. « Nous avons pu reprendre à peu près 85% de l'effectif, c'est à dire environ 230 personnes – d'autres nous ont rejoint depuis. Nous n'aimons pas faire de la casse sociale : les hommes sont l'un des appuis fondamentaux du devenir d'une entreprise. Le contexte pourtant n'était pas facile, car ceux de JFA avaient vécu nombre de reprises successives : ils étaient blasés et méfiants. Notre méthode pour les rassurer a été simple et pragmatique : nous avons passé du temps à expliquer ce qu'on voulait faire, à faire adhérer les gens, et ensuite à s'attacher à faire ce qu'on avait dit. »

— Jus de Fruits d'Alsace (JFA) ZI Rimsdorf / Metzweiher Sarre-Union www.jusdefruitsalsace.fr

PIM Industrie : un sauvetage réussi – Jean-Marc SAYER, président

Jean-Marc Sayer était cadre dirigeant de PIM Industrie – il a sauvé l'entreprise de la fermeture et la moitié de ses salariés – et en est aujourd'hui le président. S'il avait, comme beaucoup, rêvé de créer un jour son entreprise, reprendre PIM Industrie s'est imposé à lui de façon inattendue : « On peut s'imaginer créer une entreprise, être maître d'oeuvre de son choix de vie profession­nelle. Le passage à l'acte, c'est comme sauter dans l'eau froide. Pour PIM Industrie, les choses se sont faites de façon très rapide. Le 3 décembre 2013, le juge acte que PIM doit sortir du groupe, aucun repreneur industriel ne se positionne et il laisse jusqu'au 24 février 2014 pour trouver une issue. Le fait d'avoir été chahuté dans un délai très court m'a incité à l'action. Je savais que je prenais en main un bateau perforé. Le risque économique était important, le pourcentage de réussite très faible. Pourtant c'est le fait de pouvoir retourner cette situation apparemment complexe qui m'a attiré. Je savais que nous avions un savoir-faire et des salariés compétents ainsi que des moyens industriels performants. Il manquait une cohésion. Il fallait redonner le sens qui avait été perdu depuis des années. »

L'idée de la reprise lui est venue car il refusait que les « salariés paient les pots cassés de choix stratégiques qui n'étaient pas les leurs ». Il a été accompagné dans la préparation de la reprise par Pascal Gaden de l'ADIRA. Il a fallu convaincre les clients, les fournisseurs, les banques et surtout les salariés. Le projet entier a été repensé, avec des process plus simples et plus efficaces, permettant aux salariés de passer d'un focus « métier » à une vision globale des produits et des chaînes de valeur.

Jean-Marc Sayer a associé trois autres salariés au capital dès que la reprise a été actée, et il continue aujourd'hui à se faire accompagner dans son parcours de dirigeant : « Je fais parfois appel à des conseils extérieurs et je me suis aussi affilié au réseau des APM [Association Progrès du Management, ndlr] : cela me permet de m'ouvrir, de me poser d'autres questions. Cela me permet d'être dans un flux continu de structuration et de performance. »

— PIM Industrie Impasse Kohlgaerten Marckolsheim www.pim-industrie.com

Créer du lien

L'Association des Repreneurs et Cédants d'Alsace (ARCA) développe des rendez-vous mensuels à Mulhouse, Colmar et Strasbourg depuis 2009. Le CAHR et l'ADIRA sont membres depuis la création. Si l'association s'affirme comme ayant pour but de « provoquer, réussir et dynamiser la transmission de PME/PMI », elle s'adresse avant tout aux individus ayant un projet et besoin d'un réseau. Les soirées se déroulent en trois temps et sont libres d'accès : d'abord un invité vient apporter son expertise sur la cession/reprise d'entreprise, puis vient une « pause réseau », où sont encouragés les échanges informels. La troisième partie de la soirée est réservée aux membres actifs, cédants et repreneurs, en mode « club », permettant des échanges personnels et des études de cas d'entreprises. « Pouvoir s'entraider est essentiel », affirme Patrick Behra, co-fondateur de l'ARCA. Nombreux sont ceux à vouloir rompre l'isolement : ils étaient 7 à la création, 20 deux mois après, aujourd'hui, les soirées ne réunissent jamais moins de 30 personnes.

— ARCA Maison de l'entrepreneur Mulhouse Contact : Patrick Behra 06 40 09 07 49 www.asso-arca.fr

 — Quelques conseils

Pour éviter les mauvaises surprises, n'oubliez pas la garantie de passif !
Maître André Schneider est avocat, associé dans le cabinet ASKEA, docteur en droit et spécialisé en droit commercial. Il rappelle quelques fondamentaux sur la garantie de passif lors de l'acquisition de droits sociaux partiels ou complets d'une société. Il se peut que des événements indésirables se produisent, alors qu'ils n'étaient pas visibles lors de la vente. C'est tout l'enjeu de la garantie de passif. Il est essentiel d'être vigilant sur les stipulations contractuelles contenues dans l'accord de vente. Une garantie de passif permet d'envisager l'avenir en confiance, pour les deux parties. Elle couvre souvent 2 à 5 ans après la vente et permet de fixer les limites et la mise en oeuvre des indemnisations, ainsi que les compensations éventuelles. Enfin le préalable d'un titre exécutoire pour l'appel de la garantie à première demande permet de poser un cadre rassurant.

Se faire accompagner pour les cessions et transmissions d'entreprises familiales : conseil d'experts
Dans les cas des entreprises familiales, sauf exception, une cession ne se fait qu'une fois dans la vie. Thomas Fischer, du cabinet Acq'Cess, et de Bertrand Knipper de MBA Capital, sont experts de l'accompagnement stratégique des dirigeants pour les cessions / acquisitions. Ils s'accordent à le dire : pour éviter les regrets, il faut se faire aider, surtout pour les entreprises familiales. « Souvent les dirigeants d'entreprises familiales ou de PME sont seuls responsables de leur stratégie. Ils sont peu ou pas épaulés par des tiers. », déclare Bertrand Knipper. Il s'agit de comprendre les enjeux d'un chef d'entreprise et lui apporter un regard extérieur, des ouvertures et des solutions qu'il n'avait pas forcément envisagées. « Il y a aussi des aspects fiscaux qui peuvent être optimisés en anticipant d'avantage. », ajoute Thomas Fischer. Il pense qu'il faut au moins 3 à 5 ans pour se préparer une fois que la décision est vraiment prise. Bertrand Knipper estime ensuite le temps de la cession elle-même de 6 à 18 mois environ. Encourager ses enfants à faire leurs armes ailleurs en amont, être sûr de leur envie, communiquer avec tous mais aussi veiller à ne pas se rendre indispensable pour tout : voilà des façons de rendre la passation plus sereine.

Des besoins en fonds ?
Certaines associations, comme Alsace Active ou le Réseau Entreprendre Alsace, accompagnent les repreneurs dans leurs parcours, en particulier pour leurs besoins en fonds. Si le Réseau Entreprendre Alsace fonctionne autour de la réciprocité et de « prêts d'honneur » de 10 à 50 K€, Alsace Active s'inscrit dans une démarche de liaison avec les banques. Laura Palmieri, chargée de mission TPE d'Alsace Active à Mulhouse, explique : « Notre coeur de métier c'est la garantie bancaire. Nous analysons les trois derniers bilans du cédant en détails. Comme nous nous portons caution, nous constituons un vrai rouage entre les repreneurs et la banque. » Tout comme pour le Réseau Entreprendre Alsace, l'accompagnement du repreneur ne s'arrête pas là. « Nous essayons de créer un écosystème favorable en apportant notre expertise financière et des aides pour trouver des financements, par des garanties bancaires, des prêts à taux zéro, voire des subventions. Nous sommes là tout au long du processus, même après la reprise. Nous partageons les bons plans, les outils, les bonnes attitudes à avoir, les points sur lesquels il faut se méfier. »

— Alsace Active 21, boulevard de Nancy Strasbourg www.alsaceactive.fr

— Réseau Entreprendre Alsace 10, rue des Cigognes Entzheim www.reseau-entreprendre-alsace.fr

Par Marie Bohner
Photo : Henri Vogt


 Cet article est extrait du magazine hors-série ADIRA-ZUT ! 2016 dédié à l’attractivité économique de l’Alsace.

 

 

 


 

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