Seule manufacture textile encore en activité en Alsace, Beauvillé mise sur la qualité pour s’imposer dans le milieu du luxe. Éditrice avec sa marque et sous-traitante pour de grandes maisons, la Manufacture d’Impression sur Étoffes est l’une des dernières en Europe à maîtriser l’ensemble des étapes de fabrication.

Ceinte d’un côté par de petites collines, de l’autre par la forêt domaniale de Ribeauvillé, surplombée par les châteaux du Girsberg et de Saint-Ulrich, Beauvillé a fière allure. Ses bâtiments, témoins de plus de deux siècles d’histoire, forcent d’emblée le respect et l’admiration. Ils rappellent que des entreprises ont su traverser les âges sans courber l’échine face aux exigences de la mondialisation. Ultime vestige d’un âge révolu : une cheminée inutilisée, rétrécie et bétonnée à l’intérieur. « Mon père tenait à ce qu’elle soit conservée », témoigne l’actuel président du directoire de la Manufacture d’Impression sur Étoffes, Jean-Michel Borin. L’attitude, fière, et le doigt pointé vers la cheminée attestent de l’attachement que ce chef d’entreprise porte à on serait tenté de dire – son bébé. Un attachement si fort qu’il refusera de mettre en danger Beauvillé en livrant le moindre chiffre à un potentiel concurrent mal intentionné, et même de se laisser prendre en photo : « L’entreprise et les salariés parlent pour eux-mêmes, je ne veux pas me mettre en avant. »

Il y a de quoi être fier. Les savoir-faire exercés ici sont rares et précieux : l’ensemble des opérations de préparation des écrus, d’impression et de confection est réalisé sur place, que ce soit pour les grandes maisons et particuliers qui passent commande, que pour la marque Beauvillé en propre. Du premier contrôle de qualité effectué dans le magasin des écrus à la finition et l’apprêtage chimique en passant par le flambage, le débouillissage, l’impression et le vaporisage, tout est internalisé. Même la fabrication des cadres d’impression est assurée par Giolitto, filiale de Beauvillé. La M.I.E s’auto-suffit quand Beauvillé conçoit ses propres motifs et modèles grâce à une direction artistique intégrée et les vend dans son magasin d’usine, à quelques mètres des ateliers. Une fabrication 100% Made in France souhaitée par le père, Arné Borin, qui a misé sur « la valeur ajoutée et la qualité plutôt que sur le volume ». « On apporte un supplément d’âme », poursuit Jean-Michel Borin.

L’humain avant tout
Aujourd’hui encore, cette valeur ajoutée se mesure sur toute la chaîne de fabrication : l’artisanat a toute sa place au coeur de l’industrie. Le parc de machines et les techniques d’impressions n’ont quasiment pas évolué, pour privilégier l’authenticité. Seule une machine automatique est entrée ici et permet le passage de 20 couleurs, pas plus. À côté de ce brouhaha mécanique règne un silence presque religieux. Autour des tables d’impression manuelles de plus de 50 mètres, sur lesquelles s’étalent les étoffes de tout leur long, s’affairent les ouvriers par binôme ou par quatre. Carré par carré, ils déplacent le cadre d’impression calé au millimètre près grâce à des cavaliers et supports, et étalent la couleur sur celui-ci à l’aide d’un racle. Cette méthode, dite « mouillé sur sec » nécessite patience et précision mais permet un nombre illimité de passages de couleurs. À quelques pas, deux ouvriers préparent eux-mêmes les colorants de cuves [gamme la plus résistante qui permet un lavage à 60°C] : à partir de couleurs mères, ils obtiennent les mélanges qui serviront à l’impression des motifs. À l’atelier de confection où les nappes, essuie-verres et serviettes sont coupées et cousues ou autour de la ligne de vaporisage, l’humain est partout et, surtout, nécessaire. Un fait appréciable mais problématique : l’industrie textile ayant largement déserté l’Hexagone, les écoles et formations ont malheureusement suivi le mouvement, laissant à Beauvillé la charge de former en interne ses ouvriers.

Beauvillé : la timeline
1839 : Création des Établissements Steiner par Charles Émile Steiner. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’activité se concentre sur la teinturerie avant de s’élargir vers l’impression.
1967 : Arné Borin fait son entrée dans l’entreprise.
1978 : Les propriétaires accumulent les irrégularités. Arné Borin est mis à la porte de l’entreprise.
1979 : L’entreprise dépose le bilan. Le personnel se met en grève pour demander le retour d’Arné Borin.
1980 : Alors qu’Arné Borin n’a pas les moyens de reprendre l’entreprise, il a l’idée, à l’époque révolutionnaire, de monter un groupement d’intérêt économique. Le capital est séparé en trois : directeur, personnel et clients.
1983 : Arrivée du fils Jean-Michel Borin. Ses missions ? Rendre l’entreprise indépendante du bon vouloir des clients en trouvant une nouvelle activité qui fasse fonctionner la manufacture sans les concurrencer, et exporter. Avec un fonds de nappes inutilisé et à l’aide d’un styliste, il créé les premiers modèles.
1986 : Jean-Michel Borin part avec un petit pécule présenter ses premiers modèles à un salon professionnel à Paris. « On s’était fixé un objectif, on a fait huit fois le chiffre escompté. » Un revendeur lui fait rencontrer un VRP de Dior Maison, les créations de la manufacture seront vendues par la force de vente de la grande marque française.
1990 : Les chiffres décollent. Un cabinet est chargé de trouver le nom de la marque avec un cahier des charges stricte : rappeler le luxe, la France et les origines alsaciennes. Beauvillé est créée.
2005 : Rachat de Giolitto (Bourgoin-Jallieu), filiale spécialisée dans la photogravure industrielle.
2009 : Beauvillé obtient le label Entreprise du Patrimoine Vivant.

Idem pour les machines qui, âgées, nécessitent un soin tout particulier et des pièces de rechange qui ont pour la plupart disparu : « Le budget alloué à l’entretien est énorme car nous n’avons pas de moyen de substitution. Une personne travaille à temps plein sur la maintenance. Lorsqu’une pièce est défaillante, nous sommes contraints d’en fabriquer une autre sur-mesure », explique le directeur. Un mal pour un bien : si les machines demandent autant de vigilance, c’est bien qu’elles ne chôment pas.

Un développement exponentiel
Le carnet de commandes de la M.I.E ne désemplit pas. Les éditeurs de tissus d’ameu¬blement de luxe du monde entier viennent chercher ici savoir-faire et exigence. Si le secret règne sur certains clients qui souhaitent garder l’anonymat – particulièrement dans l’industrie du luxe et du haut de gamme –, on peut néanmoins citer Ralph Lauren Home, Cowtan & Tout, Brunschwig & Fils ou encore Pierre Frey, sans oublier des particuliers pres¬tigieux. C’est à Ribeauvillé qu’ont été créés des tissus pour les appartements privés de Barack Obama à la Maison-Blanche, pour le palais d’été de la maison royale de Suède, et qu’ont été choisies, par l’émir du Qatar, les nappes sur lesquelles ont dîné les convives du G8… S’agis¬sant de la marque propre Beauvillé, nombreux sont les visiteurs tentant de passer discrè¬tement au magasin d’usine pour faire leurs achats. Beauvillé dispose de deux corners en France mais explose au Japon. Présente sur le marché nippon depuis plus de 15 ans, notam¬ment chez Mitsukoshi – l’équivalent du Bon Marché –, elle a ouvert tout récemment un site vitrine et un e-shop et, surtout, son premier magasin en propre (170m2 !) dans le quartier de Shibuya à Tokyo, grâce à un fonds financier et opérationnel japonais. L’avenir semble radieux au pays du Soleil-Levant, et des pers¬pectives s’ouvrent d’ores et déjà en Chine… L’humain, la patience et la qualité, de belles clés vers le succès.

Beauvillé – usine et magasin d’usine, 21, route de Sainte-Marie-aux-Mines Ribeauvillé – www.beauville.com

Texte : Cécile Becker
Photo : Christophe Urbain


 Cet article est extrait du magazine hors-série ADIRA-ZUT ! 2016 dédié à l’attractivité économique de l’Alsace.

 

 

 


 

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