Récemment entré au Musée Grévin et dans les pages du Larousse, cet entrepreneur originaire de Colmar a fait de sa marque éponyme un empire qui s’exporte dans le monde entier. L’essentiel de sa production est fabriquée depuis sa manufacture près de Mulhouse mais les créations de ce génie du sucre sont conçues dans son atelier au coeur de Paris où nous l’avons rencontré.

Votre père et grand-père étaient boulangers à Colmar. Est-ce cet héritage familial qui a conditionné votre vocation ?
Mon père a forcément inconsciemment influencé ma volonté de devenir pâtissier. Dès l’âge de 9 ans, je savais que je voulais faire ce métier ! Je devais commencer mon apprentissage dans une pâtisserie à Ribeauvillé, mon père a répondu à une annonce parue dans les DNA pour un apprentissage chez Lenôtre. J’avais 14 ans à l’époque et mes parents m’ont accompagné à Paris pour m’y présenter.

Comment s’est déroulée cette enfance colmarienne avant votre départ pour la capitale ?
Vous savez, il n’y avait pas de séparation entre le travail et la vie de famille. Pour voir mes parents, je devais rester avec eux à la boulangerie. Nous avions un verger et je me souviens que j’allais cueillir les fruits pour en faire des tartes. Dans l’ordre : groseilles, quetsches, mirabelles, cerises !

Votre première expérience [en dehors de l’entreprise familiale] chez Lenôtre, marque le début de votre carrière.
Ce fut un apprentissage formidable, puisque c’est là-bas que j’ai appris la qualité et le souci du détail. Cette expérience a posé les bases de mon métier, sur lesquelles je m’appuie encore aujourd’hui.

Votre associé Charles Znaty affirme que vos origines alsaciennes influencent vos créations. Elles sont d’ailleurs toujours mentionnées dans vos interviews. À quel point sont-elles présentes ?
C’est une influence parmi d’autres ! Il y a forcément une espèce d’atavisme familial aux produits de l’Alsace et plus généralement au goût de l’Alsace : le kouglopf, le stollen, la tarte aux quetsches, qui sont profondément marqués Alsace et qui font partie de mes repères. Dans mon travail de création, les influences sont nombreuses, il y a souvent des ingrédients qui viennent d’Alsace, mais aussi du Japon, d’Italie, d’Espagne, etc.

Pourtant vous avez décidé d’y installer la manufacture Pierre Hermé ?
Oui, elle est installée depuis 2008 à Wittenheim, près de Mulhouse. Généralement la question qui suit est « Pourquoi l’Alsace ? ».

La réponse me paraît évidente !
En fait, j’aurais pu l’installer à Paris. Mais je gardais en tête l’éventualité de venir en Alsace. Je me suis alors rapproché de Bernard Kuentz de la Maison de l’Alsace à Paris en lui demandant s’il existait des subventions pour faciliter des installations dans la région. Il m’a rapidement mis en relation avec des interlocuteurs de l’ADIRA que j’ai rencontrés à Paris, puis en Alsace. Plusieurs sites m’ont été proposés, dont celui où nous sommes encore aujourd’hui et que nous avons transformé en chocolaterie et pâtisserie.

Comment se sont passés l’implantation et votre retour dans la région ?
Hubert Hassler du CAHR [aujourd’hui à la retraire, ndlr] nous a accompagnés dans ce projet d’installation et nous a épaulés à 200 %. Il nous a aidés à choisir les entreprises les plus fiables avec lesquelles collaborer localement. Un interlocuteur précieux qui a pu nous guider sur le tissu économique local. Une bienveillance aussi grâce à ses visites fréquentes pour s’assurer que notre implantation se déroulait bien. Cette qualité d’accompagnement a été déterminante dans le choix d’installer la manufacture en Alsace.

Quelle est la fonction de cette manufacture au sein de la Maison Pierre Hermé ?
Nous y fabriquons les chocolats, cakes et macarons Pierre Hermé. Dirigée par Colette Pétremant, cette manufacture concentre entre 60 et 70 pâtissiers dont 60 % sont originaires de la région. Cet engagement local ne s’arrête pas là puisque nous travaillons avec plusieurs fournisseurs aux alentours : Alsace Lait, la Coopérative des Boulangers de Colmar [son père en a été le président, ndlr], plusieurs entreprises dans le domaine de la réfrigération, etc.

Une production que vous exportez dans le monde entier ?
Dans douze pays exactement !

Comme vos confitures réalisées en collaboration avec votre « soeur spirituelle » Christine Ferber à Niedermorschwihr ?
Elle est bien plus qu’une amie en effet ! C’est elle qui fabrique toutes nos confitures, de sa propre gamme ou à façon, signées Christine Ferber pour Pierre Hermé.

Vous avez révolutionné le monde de la pâtisserie en imposant le sucre comme condiment et en réduisant la dimension décorative de vos créations. Comment arrivez-vous à mettre en oeuvre votre signature à distance et faire en sorte que vos recettes soient parfaitement respectées ?
Vous vous trouvez ici à l’atelier de création de la Maison Pierre Hermé. C’est ici, avec quatre chefs pâtissiers, que nous élaborons les recettes. D’abord je les dessine et rédige seul [cf. illustration de l’Ispahan, ndlr], puis on les teste, les modifie et les fait évoluer. Ensuite, une fois définies, ces recettes donnent lieu à une écriture très précise transmise à la manufacture grâce aux chefs pâtissiers de l’atelier qui accompagnent l’équipe alsacienne [il sort des recettes raturées et dessins de ses dossiers, ndlr]. Le mode opératoire doit être le même pour tous et garantir des recettes identiques au gramme près !

Tout est donc extrêmement charté !
Exactement ! Mais ces recettes-là sont mises à l’épreuve de la production, dont on récupère par la suite les informations. Certains modes opératoires nécessitent d’être changés pour les rendre plus efficaces dans la fabrication. Une recette ce n’est pas quelque chose de figé, même si c’est quelque chose d’établi.

Revenons sur votre parcours. On connaît votre passage chez Lenôtre et Fauchon. En revanche beaucoup moins celui chez Ladurée !
Après 11 ans de collaboration avec Fauchon, j’ai décidé de monter ma propre entreprise. Je me suis alors associé à Charles Znaty, avec la volonté de créer une marque de luxe dans le domaine de la pâtisserie. Et comme nous avions à l’époque autant d’argent l’un que l’autre, c’est-à-dire pas grand-chose, nous avons financé notre développement par des activités de conseil. Notre premier client fut Ladurée !

Quelles ont été vos missions chez celui qui deviendra plus tard votre futur concurrent ?
Mon intervention chez Ladurée a consisté à établir un savoir-faire détenu par l’humain en le formalisant. En somme, faire passer une petite pâtisserie du quartier de La Madeleine, connue mondialement pour ses macarons, en une marque de luxe. Je me suis occupé de la charte graphique et du packaging jusqu’aux ouvertures sur les Champs-Élysées et dans les magasins Printemps. Et tout ça en deux ans !

Une collaboration qui vous a d’ailleurs empêché de vous installer en France durant plusieurs années ?
Effectivement, nous avions un engagement moral de ne pas nous établir à Paris, ce qui ne nous interdisait pas de le faire à l’étranger ! Le hasard des rencontres a fait que nous avons commencé par le Japon, qui possède d’ailleurs une excellente culture de la pâtisserie occidentale. Nous possédons 15 points de vente au Japon, soit autant qu’en France !

Quelles ont été les difficultés de développement à l’international ?
Nos ouvertures en France ! Aucune banque ne croyait en notre projet de pâtisserie de luxe. Finalement la première boutique parisienne a fini par ouvrir en août 2001.

Avec le macaron et le chocolat au cœur de vos activités ?
Ce choix n’est pas un hasard. C’est quand même plus facile de dupliquer des enseignes de macarons et de chocolats que des enseignes de pâtisseries fraîches, comme celles rue Bonaparte ou rue Vaugirard. C’est l’ouverture de la manufacture en Alsace en 2008 qui a d’ailleurs permis de nous développer ainsi. Avec un seul endroit de production où l’on peut contrôler la qualité des produits destinés à l’export.

Pouvons-nous vous croiser en Alsace prochainement ?
Je reviens environ une fois par mois, mais d’après ma mère je ne viens pas assez souvent ! J’y suis venu le week-end dernier [tout début mars, ndlr] et j’en ai d’ailleurs profité pour visiter la magnifique extension du Musée Unterlinden à Colmar réalisée par les architectes bâlois Herzog et De Meuron. Je suis aussi retourné voir pour la 1 000e fois le Retable d’Issenheim, qui constitue pour moi une merveille de l’humanité !

PH : Des chiffres en deux lettres !
— Novembre 1961 : Naissance de Pierre Hermé à Colmar
— 1975 : Apprenti chez Lenôtre à 14 ans
— 1986 -> 1996 : Chef-pâtissier de la Maison Fauchon
— 1997 : Création de la marque Pierre Hermé Paris avec son associé Charles Znaty
— 1998 : Ouverture de la première boutique à Tokyo
— 2001 : Ouverture de la première boutique en France, rue Bonaparte à Paris, suivie en 2004 de celle rue Vaugirard
— 2005 : Ouverture du concept-store Pierre Hermé à Tokyo
— 2008 : Création de la manufacture Pierre Hermé sur 2 400m2 à Wittenheim
— 2010 : Installation de la Maison Pierre Hermé rue Fortuny à Paris, l’atelier de création du pâtissier
— 2016 : 47 points de vente en Europe, Asie (dont 15 au Japon) et Moyen-Orient

Par Caroline Lévy, Journaliste
Photo article : Stéphane de Bourgies
Photo page d’accueil : DR


 Cet article est extrait du magazine hors-série ADIRA-ZUT ! 2016 dédié à l’attractivité économique de l’Alsace.

 

 

 


 

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